Les vestiges des grands thermes romains d'El Kef surgissent au milieu des constructions modernes et rappellent le poids de Sicca-Cirta dans l'Antiquité. Monument emblématique de la romanisation, le complexe aurait été édifié au 3e siècle et couvrait près de 2 000 m². Implanté au pied du Jebel Dyr El Kef, à proximité immédiate des grandes citernes de Bab Ghedar, il s'insérait dans la logique urbaine romaine : le Capitole et le forum dominaient la ville haute, tandis que les thermes occupaient une zone plus accessible, directement liée aux habitants et aux ressources en eau.
Malgré les constructions contemporaines qui recouvrent une partie du site, les fouilles ont mis au jour des éléments suffisants pour restituer son organisation. Conçu autour d'un axe symétrique, le complexe alignait les salles froides au sud – dominées par un frigidarium monumental et son bassin hexagonal – et les espaces chauffés au nord, adossés à la colline. Les grandes arcades encore visibles témoignent des voûtes qui maintenaient une atmosphère fraîche et apaisante, propice au repos après les bains chauds et les exercices physiques.
Au nord, le laconicum, le caldarium et les foyers bénéficiaient de la protection naturelle du relief, limitant les pertes de chaleur. Le caldarium IV, doté de deux bassins rectangulaires et d'une abside voûtée, communiquait avec un tepidarium circulaire qui assurait la transition entre bains chauds et bains froids. Les salles de transition tièdes, les vestiaires et la palestre furent en partie détruits ou comblés, mais les fouilles ont révélé que le niveau antique se situait plus de quatre mètres sous le sol actuel, attestant l'ampleur du monument.
Les thermes furent réutilisés à l'époque tardo-antique : une chapelle chrétienne occupa le destrictarium et le laconicum, avec une abside orientée vers le nord, un autel lié à la mémoire d'un possible martyr et des tombes, dont celle du prêtre Cresconius. Cette réappropriation illustre la continuité d'usage des édifices romains. L'alimentation en eau reposait sur un système hydraulique spectaculaire : des citernes monumentales de 28 × 40 m formaient de véritables « cathédrales souterraines » capables d'emmagasiner 6 000 m³, complétées par les onze chambres parallèles des citernes de Bab Ghedar, qui ajoutaient environ 7 000 m³ de stockage.
Au-delà de la fonction balnéaire, le site a livré de nombreux cippes et stèles funéraires, renseignant le visage social de Sicca-Cirta. On y retrouve par exemple Sallustia, habitante locale ayant adopté le nom du gouverneur Salluste. Plus au sud, un fragment de frise du monument numide de Kbor Klib rappelle les racines préromaines de la région. Par sa monumentalité et son insertion dans le tissu urbain, le complexe thermal d'El Kef rivalise avec les grands édifices publics d'Afrique romaine, aux côtés du Capitole, du théâtre et de l'amphithéâtre.
Organisation architecturale
Frigidarium et bassin hexagonal
Localisation : Extrémité sud du complexe, point d'aboutissement de l'axe principal.
Caractères : Bassin hexagonal monumental longtemps pris pour un baptistère, grandes arches et voûtes hautes de 6 à 7 m.
Usage : Détente, massages et bains froids après l'effort.
Espaces chauffés (laconicum et caldarium)
Implantation : Secteur nord, protégé par la pente du Jebel Dyr El Kef.
Description : Caldarium IV avec deux bassins rectangulaires et abside en hémicycle, relié à un tepidarium circulaire.
Fonction : Bains chauds et sudation, cœur du rituel thermal romain.
Espaces de transition
Tepidarium : Salle intermédiaire permettant l'adaptation progressive des baigneurs.
Vestiaires et palestre : Zones d'entraînement, de sociabilité et de préparation aujourd'hui détruites ou enfouies.
Hydraulique monumentale
Citernes principales : 28 × 40 m, sept nefs soutenues par de puissants piliers, capacité estimée à 6 000 m³.
Citernes de Bab Ghedar : Onze chambres parallèles totalisant environ 7 000 m³ supplémentaires.
Rôle : Assurer une alimentation régulière en eau, reflet du savoir-faire hydraulique romain.
Réemploi chrétien
Chapelle : Installée dans le destrictarium et le laconicum, abside orientée au nord.
Témoignages : Autel, tombes, plaques funéraires dont celle du prêtre Cresconius.
Décors et mémoire sociale
Décors : Voûtes, arcs et mosaïques situées à plus de quatre mètres sous le niveau actuel.
Stèles funéraires : Cippes et inscriptions révélant les habitants romanisés (ex. Sallustia).
Le complexe thermal d'El Kef incarne la maîtrise romaine en matière d'ingénierie et d'urbanisme : articulation des espaces froids et chauds, intégration d'édifices sociaux et religieux, et dispositifs hydrauliques d'envergure.
Bibliographie
Alix et Roland Martin, Histoire de Tunisie – El Kef : Les monuments de la ville, janvier 2017.
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F. Béjaoui, « Découvertes d’archéologie chrétienne en Tunisie », Actes du XIe congrès international d’archéologie chrétienne, Rome, 1989, p. 1954-1956.
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Philippe Leveau, « L’eau dans la maison à l’époque romaine », p. 155-167.
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Nicolas Lamare, « Les aménagements de sources en milieu urbain dans le nord-est de l’Afrique : des captages “romains” ? », dans L’eau dans tous ses états. Perceptions antiques, PUP, 2020, p. 79-90.
Rahmouni Tarek, Les thermes de l’ouest de Sicca Veneria et son approvisionnement en eau à l’époque romaine, mémoire de DEA, Université de Tunis, 2000-2001.
Factsheet : The Roman Baths of El Kef (Sicca-Cirta)
Localisation
Complexe thermal situé près du siège de l’Association pour la sauvegarde de la médina d’El Kef, en plein centre-ville, au contact des citernes monumentales.
Contexte historique
Date de construction : 3e siècle apr. J.-C.
Nom antique : Sicca-Cirta.
Superficie : Environ 2 000 m².
Orientation : Nord-Sud.
Fonction : Bain public romain, lieu de sociabilité et de cohésion urbaine.
Organisation des espaces
Côté nord (salles chaudes) : Laconicum, caldarium, chaufferies protégés par la colline et proches des citernes.
Côté sud (salles froides) : Frigidarium avec bassin hexagonal et arcades monumentales.
Espaces disparus : Palestre, apodyterium, tepidarium – aujourd'hui détruits ou enfouis.
Rôle social
Ouverts à toutes les classes, les thermes servaient à transpirer, se détendre, pratiquer des exercices physiques et rencontrer la communauté, au même titre que le Capitole, le théâtre ou l'amphithéâtre.
Annexe chrétienne
Chapelle du 5e siècle, abside orientée au nord.
Deux accès dont l’un vers le frigidarium.
Autel, tombe centrale et stèle du prêtre Cresconius.
Mosaïques et matériaux réemployés pour les clôtures liturgiques.
Indices funéraires et épigraphiques
Stèles, cippes et inscriptions documentent les habitants de Sicca-Cirta : adoption de noms romains (Sallustia), traces du monument numide de Kbor Klib à proximité.
Points clés
Période : 3e siècle apr. J.-C.
Orientation : Nord-Sud.
Étendue : ~ 2 000 m².
Élément notable : Bassin hexagonal du frigidarium (anciennement interprété comme baptistère).
Monument annexe : Chapelle chrétienne du 5e siècle.
Importance : Témoignage de la prospérité urbaine et de l'identité romaine d'El Kef.